Sur mon cou, sans armure et sans haine, mon cou
Que ma main plus lĂ©gĂšre et plus grave quâune veuve
Effleure sous mon col, sans que ton cĆur sâĂ©meuve,
Laisse tes dents poser leur sourire de loup.
Ă viens mon beau soleil, ĂŽ viens ma nuit dâEspagne,
Arrive dans mes yeux qui seront morts demain.
Arrive, ouvre ma porte, apporte-moi ta main,
MĂšne-moi loin dâici battre notre campagne.
Le ciel peut sâĂ©veiller, les Ă©toiles fleurir,
Ni les fleurs soupirer, et des prĂ©s lâherbe noire
Accueillir la rosĂ©e oĂč le matin va boire,
Le clocher peut sonner : moi seul je vais mourir.
Ă viens mon ciel de rose, ĂŽ ma corbeille blonde !
Visite dans sa nuit ton condamné à mort.
Arrache-toi la chair, tue, escalade, mords,
Mais viens ! Pose ta joue contre ma tĂȘte ronde.
Nous nâavions pas fini de nous parler dâamour.
Nous nâavions pas fini de fumer nos gitanes.
On peut se demander pourquoi les Cours condamnent
Un assassin si beau quâil fait pĂąlir le jour.
Amour viens sur ma bouche ! Amour ouvre tes portes !
Traverse les couloirs, descends, marche léger,
Vole dans lâescalier plus souple quâun berger,
Plus soutenu par lâair quâun vol de feuilles mortes.
Ă traverse les murs ; sâil le faut marche au bord
Des toits, des océans ; couvre-toi de lumiÚre,
Use de la menace, use de la priĂšre,
Mais viens, Î ma frégate, une heure avant ma mort.
Extrait de : Le Condamné à mort et autres PoÚmes (Poésies/Gallimard, 1999)